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AGRO-BIO - 350 - 07

LA RUE DES CHEVRES: UNE NOUVELLE LÉGUMINEUSE FOURRAGÈRE

Table des matières

par Jean Duval, agr., M.Sc.
mai 1994

La rue des chèvres (Goat's rue - Galega orientalis) est une légumineuse originaire de la région méditerranéenne mais qui croît bien dans les régions plus nordiques. Comme plante fourragère, la rue des chèvres a l'avantage d'être très persistante (7 à 15 ans) et de donner des rendements intéressants, surtout en sols légers.

La semence de rue des chèvres est maintenant disponible depuis quelques années au Québec. Bien que certains producteurs agricoles cultivent Galega orientalis, on peut considérer que l'expertise est encore limitée chez nous. Nous pouvons toutefois bénéficier de celle développée dans d'autres pays dont le climat est très semblable au nôtre. En effet, les principales recherches sur la rue des chèvres ont été réalisées d'abord en Russie dans les années '20 puis plus récemment en Scandinavie (Norvège, Estonie, Finlande).

La plupart des informations contenues dans la présente synthèse sont traduites et adaptées d'un article (Varis, 1986) qui fait le résumé des résultats d'essais réalisés sur la rue des chèvres en Finlande et en Estonie dans les années '70 et '80.

A NOTER

Il ne faut pas confondre Galega orientalis avec sa proche cousine Galega officinalis, aussi appelée rue des chèvres. Cette dernière est utilisée pour ses propriétés médicinales et comme plante ornementale. Bien que les deux espèces contiennent des alcaloïdes, G. officinalis en contient beaucoup plus que G. orientalis et peut être toxique en trop grandes quantités. Des cas d'empoisonnement avec G. officinalis ont été rapporté pour le mouton (Gresham et Booth, 1991). Le mouton serait toutefois beaucoup plus sensible à cette plante que les bovins ou les équins, et particulièrement lorsque la plante est en floraison ou plus tard. Pour éviter toute confusion, il ne sera question ici que de G. orientalis qui sera désignée comme rue des chèvres ou galéga.

GÉNÉRALITÉS

Description

La rue des chèvres forme un espèce de buisson de 10 à 18 tiges d'une longueur de 50 à 150 cm. La tige est vide et les branches se trouvent dans la partie supérieure des tiges. Les groupes de feuilles mesurent de 14 à 25 cm de long et sont formés de 9 à 15 petites feuilles de 3 à 6 cm de long. On retrouve quelques grappes pubescentes de fleurs sur les tiges qui contiennent de 20 à 25 fleurs bleu-violette ou quelquefois blanches de 1 cm de longueur.

La floraison de la rue des chèvres dure de 18 à 25 jours. Les gousses mesurent de 2 à 4 cm et contiennent de 3 à 7 graines en forme de rein. Le poids de 1000 graines varie de 5,5 à 9,0 grammes. Les graines fraîches sont d'un vert jaunâtre et tourne ensuite au brun pâle.

Le système racinaire de la plante peut atteindre jusqu'à 80 cm de profondeur. A l'automne de l'année d'implantation, des stolons sont formés à partir du collet de la plante. Ces stolons courent sous la surface du sol et forment éventuellement de nouvelles pousses à la surface. Lorsque le plant-mère meurt, les pousses formés à partir des stolons développent leur propre système racinaire. Grâce aux stolons, une densité de 400 à 450 tiges au mètre carré peut être obtenu.

Conditions propices

Sol

La rue des chèvres est une plante de sols légers. Dans ces sols, les stolons peuvent s'étendre plus facilement. Il faut donc l'établir dans des sols sableux ou dans des sols riches en humus. Le pH du sol doit préférablement être supérieur à 5,6 car le rhizobium spécifique à la rue des chèvres ne peut fixer l'azote efficacement en-deça de ce pH. La plante peut quand même être cultivée dans des sols plus acides mais les rendements escomptés seront moindres.

Température

La température optimale pendant la germination se situe entre 10 et 12C, 5-6C étant un minimum. La plante peut résister à des températures de -40C sous la neige et aussi basses que -20C sans couvert neigeux. Pendant la saison de croissance, des températures de -5 à -7C n'affecteront pas les rendements, bien que les faibles températures printannières ralentissent la croissance et la fixation d'azote (Raig, 1980).

Humidité

La rue des chèvres résiste assez bien à la sécheresse en raison de son système racinaire. On considère ses besoins en eau comme intermédiaire entre ceux de la luzerne et ceux du trèfle rouge. La plante peut supporter jusqu'à 12 à 18 jours d'inondation printannière.

Lumière

La rue des chèvres ne tolère pas l'ombre, surtout en année d'établissement. C'est la raison pour laquelle il est recommandé en général de l'établir en semis direct plutôt qu'avec plante-abri, bien que cette dernière méthode semble plus favorable pour le contrôle des adventices. L'ombrage résulte en un couvert clairsemée et laisse l'occasion aux mauvaises herbes de croître.

RÉGIE

Semis

Préparation de la semence

Une grande partie sinon la majorité des graines de la rue des chèvres sont dites dures. La germination de ces graines peut être améliorée grandement par une scarification mécanique ou chimique. En Estonie, on trempe les graines pour une heure ou deux dans de l'acide nitrique ou de l'acide sulfurique. La scarification mécanique se fait par abrasion ou incision de la semence à l'aide d'un scarificateur. Le pourcentage de germination de graines scarifiées devrait dépasser les 80%.

Inoculation

Comme toutes les légumineuses, la rue des chèvres peut fixer l'azote de l'air grâce à une relation symbiotique avec une espèce de bactéries. Le rhizobium de la rue des chèvres, qui se nomme Rhizobium galegae, est très spécifique et n'est pas apparenté aux autres espèces de rhizobium (Lindstrom et Gyllenberg, 1988). Le rhizobium du pois (Pisum sativum) peut infectée la rue des chèvres mais la symbiose n'est pas effective. On compte de 400 à 1500 nodules par plant en général.

En Finlande, les chercheurs ont observé que la fixation d'azote ne commencent que vers la fin de juillet en année d'implantation. Les années suivantes, la fixation commence dès le printemps.

Temps et profondeur de semis

Le semis de rue des chèvres se fait idéalement en début mai de façon à ce que les jeunes plants puissent bénéficier de l'humidité présente et se développer pleinement avant l'hiver.

Une profondeur de 1 à 1,5 cm est suffisante mais il est préférable qu'elle soit de 2,5 cm pour une meilleure germination. Une plus grande profondeur nuit au début de la croissance.

Taux de semis

Pour la production fourragère, un taux de semis de 30 à 40 kg/ha avec 20 à 30 cm entre les rangs est recommandée en Estonie. En Finlande, le taux optimum du point de vue du rendement est de 40 kg/ha avec 12 à 14 cm entre les rangs. L'effet du taux de semis sur la vigueur du peuplement est apparent pendant les deux premières années seulement.

Pour la production de semences, un taux de semis de 7 à 10 kg/ha est préférable.

L'espacement recommandé est alors de 60 à 90 cm entre les rangs et de 12,5 à 25 cm sur le rang. Cet espacement accroît la production de graines et facilite le contrôle mécanique des mauvaises herbes.

Plantes-abri et plantes compagnes

Plusieurs plantes-abri et plantes-compagnes pour la rue des chèvres ont été comparé dans des expériences en Scandinavie et en Russie. En général, les cultures annuelles ont toutes tendance à nuire à l'établissement et au rendement de la plante. Conséquemment, il est souvent recommandé de l'établir en semis pure et de contrôler les adventices à l'aide d'herbicides. En agriculture biologique, l'utilisation de semis mixte et/ou de plante-abri semble incontournable.

Dridiger (1991) a obtenu les meilleurs rendements moyens dans les deux premières années avec un mélange de dactyle et de rue des chèvres bien que les populations d'adventices étaient moindres avec l'avoine comme plante-abri.

Une technique intéressante utilisée au Danemark consiste à semer le galéga au printemps dans une culture de céréales d'hiver. La culture d'hiver est récoltée pour l'ensilage 1 mois avant la période normale de récolte du grain et la rue des chèvres peut ainsi se développer avantageusement.

En mélange, les meilleurs rendements ont été obtenu au Danemark avec la luzerne bien que les mélanges dactyle-mil-luzerne aient également donné de bons résultats (Johanssen, 1990). En Finlande, Varis (1986) considère un mélange 60/40 (18 kg/ha de rue des chèvres et 4 kg/ha de mil) comme idéal du point de vue du rendement en matière sèche et du taux de protéines après la première année, et ce même sans apport d'azote. Si la proportion de mil augmente dans le mélange, le taux de protéines décroît mais le taux de glucides augmente. Le taux de fibres n'est pas affecté par le changement des proportions.

Fertilisation

Il est recommandé d'appliquer 1 à 2 tonnes/ha de chaux avant le semis pour encourager la germination et stimuler la fixation d'azote. Un apport d'azote serait aussi bénéfique à l'établissement car les rhizobiums ne commencent à être efficace qu'en juillet la première année. Les besoins annuels d'une culture bien établie sont de 40 kg/ha de phosphore et 100 kg/ha de potassium par année.

Récolte

Production de semence

La récolte des graines est compliquée par le fait que la plante reste verte même si les graines sont mûres. Il faut donc recourir au javelage avant battage ou alors pulvériser un défoliant quelques jours avant la récolte (si l'on est pas en agriculture biologique, évidemment!).

Production fourragère

En première année, une coupe est possible. Dans les années subséquentes, deux coupes sont recommandées bien que trois soient aussi possibles. Avec trois coupes, la plante a moins le temps de produire des stolons et de faire ses réserves pour l'hiver.

Dans les pays scandinaves, il est recommandé de faire la première coupe au début de la floraison (deuxième moitié de juin) et la deuxième coupe au moins 70 jours plus tard (mi-septembre). Contrairement au trèfle rouge, il est préférable de faire la deuxième coupe le plus tard possible parce que si cette coupe est réalisée plus tôt, cela encourage la croissance des pousses à partir des stolons et accroît les dommages hivernaux. Il semble qu'en réalisant les coupes à la mi-juin et à la mi-septembre, on obtienne également la meilleure qualité et quantité de fourrage.

Le rendement en première année est inférieur à celui d'un trèfle rouge au même stade. Par contre la rue des chèvres rend plus dans les années subséquentes que le trèfle rouge ou la luzerne parce qu'il survie mieux à l'hiver. Dans une expérience de cinq ans en Finlande, le meilleur rendement a été obtenu en troisième année et se situait à environ 6500 kg MS/ha. Dans des conditions idéales, des rendements moyens sur neuf ans de 9,6 tonnes de matière sèche à l'hectare ont été obtenu en Estonie (Loid et Laidna, 1990).

UTILISATIONS

Plante fourragère

Pâturage

La rue des chèvres est une bonne plante de pâturage car elle peut être broutée de très près, ce qui encourage la production de stolons. En Finlande, on considère que la rue des chèvres est prête à pâturer 15 à 20 jours plus tôt que le trèfle rouge. Le contenu en protéines des jeunes plantes est assez élevé pour satifaire les besoins des vaches laitières sans qu'aucun autre fourrage ne soit donné (Raig, 1982).

Comme son nom l'indique, la rue des chèvres est un aliment qui convient bien aux caprins, ces derniers ne détestant pas les plantes plus fibreuses. Le galéga est également utilisée pour les moutons. Les données manquent quant à l'appétence de la rue des chèvres pour les bovins.

Ensilage

L'utilisation la plus fréquente de la rue des chèvres dans les pays scandinaves est pour la production d'ensilage. La plante se prête bien à l'ensilage seul ou en mélange avec 20-25% de graminées. Comme il s'agit d'un matériel riche en protéines et faible en glucides, il est nécessaire d'ajouter un agent de conservation (6 litres/tonne) pour éviter des pertes trop importantes. Selon les recherches menées à l'université d'Helsinki en Finlande, les pertes en silo sont supérieures à la première coupe et contrairement à la plupart des ensilages où les pertes sont surtout constituées de minéraux et de glucides, les écoulements d'ensilage de rue des chèvres contiennent aussi des protéines.

La digestibilité de l'ensilage de première coupe est supérieure à celle de deuxième coupe (Varris, 1986) car le contenu en fibre de la deuxième coupe est plus important et les animaux délaisse ces tiges fibreuses. Le contenu en protéines de l'ensilage de rue des chèvres est élevé mais il est important de faire les coupes assez tôt pour que le contenu en fibre ne soit pas trop élevé et éviter une pauvre digestibilité des tiges.

Si la plante se prête bien à l'ensilage, elle n'est pas aussi appropriée pour la production de foin sec car sa grande quantité de feuillage et de tiges ralentit le séchage. Les nombreuses feuilles ont aussi tendance à tomber lors de la récolte en foin sec.

Valeur alimentaire

La composition de la rue des chèvres est semblable à celle de la luzerne ou du trèfle à l'exception d'un taux de fibres qui est plus élevé pour la première. Le tableau suivant donne la composition typique de deux coupes.

Tableau 1 - Composition de la première et de la deuxième coupe de rue des chèvres en Finlande (%)
  1ère coupe (22 juin) 2ème coupe (16 septembre)
Matière sèche

Minéraux

Protéines

Lipides

Fibres

Glucides

17.2

8.8

22.5

2.8

18.5

47.3

14.4

8.4

21.2

2.7

30.9

35.9

Source: Varis (1986)

La digestibilité des différentes fractions dépend du stade de la plante et décroît plus la plante approche la fin de la floraison. La plante garde sa valeur alimentaire très longtemps toutefois parce qu'il y a toujours de nouvelles pousses à partir des stolons. Un champ de rue des chèvres demeure donc vert même si les graines sont mûres sur les plants-mères. Le tableau suivant donne l'écart possible pour la digestibilité des différentes parties selon deux études estoniennes.

Tableau 2 - Digestibilité (%)
  Raig (1982)

(début à floraison)

Shagarov (1985)

(floraison)

Matière sèche

Glucides

Protéines

Lipides

Fibres

66,7-53,3

77,8-56,0

85,9-63,0

53,0-33,0

68,6-44,9

64,9-66,7

76,0-79,2

47,6-55,6

Alcaloïdes

La rue des chèvres contient des alcaloïdes qui réduisent sa valeur nutritive. L'une d'entre elles, la péganine, donne un goût amer qui réduit l'appétence. Heureusement, sa présence peut être réduite par sélection et on peut espérer que les phytogénéticiens développeront des variétés en contenant moins. Contrairement à Galega officinalis, les alcaloïdes toxiques ne sont pas présents en quantités suffisantes, même dans la semence, dans le cas de Galega orientalis.

Engrais vert

En raison de son puissant système racinaire, la rue des chèvres s'avère une bonne plante pour améliorer le sol. Selon une étude estonienne (Raig, 1980), elle laisse dans les premiers 30 cm de sol 3,8 fois plus de matière sèche, 2,7 fois plus de calcium, 3,6 fois plus de potassium et 5,0 fois plus d'azote que le mil. Cela en fait une plante excellente pour rétablir les sols sableux dégradés à long terme. Après l'établissement, la rue des chèvres est en général compétitive contre les mauvaises herbes sauf le chiendent.

On ne peut pas toutefois envisager l'utilisation de la rue des chèvres comme engrais vert en culture dérobée en raison de son coût élevé et de son établissement lent.

Plante mellifère

La rue des chèvres attire les abeilles et les bourdons. Comme elle fleurit tôt, il s'agit d'une bonne plante mellifère pour le début de l'été. La récolte de graines peut être augmentée considérablement lorsque des ruches sont installées au champ.

CONCLUSION

La rue des chèvres est une plante prometteuse pour les sols légers. Elle est très persistante et résistante au froid, peut tolérer une certaine acidité et produit en abondance des fourrages de qualité. Elle se prête bien au pâturage (mouton et chèvre particulièrement) et à la production d'ensilage.

Sources de semences

Labon inc.
1350 Newton
Boucherville (Québec)
tél.: (514) 641-1050
télecopieur: (514) 641-4979
Prix 1994: 158 $ pour 10 kg de semence. Inoculant disponible.

Bibliographie

Dridiger, V.K. 1991. [Sowing methods for Galega orientalis]. Kormovye Kul'tury, n 5:35-36.

Gresham, A.C.J. et K. Booth. 1991. Poisoning of sheep by goat's rue. Veterinary Record, 129(9):197-198.

Johanssen, B.R. 1990. Galega as a fodder plant in Denmark. in Gaborcik, N, V. Krajcovic et M. Zimkova. 1990. Soil-Grassland-Animal relationships. Proceedings of the 13th general meeting of the European Grassland Federation, Banska Bystrica, Tchéquoslovaquie.

Lindstrom, K et H. Gyllenberg. 1988. Properties of goat's rue (Galega orientalis), a potential forage legume, and its microsymbiont - Rhizobium galegae. Crop Research, 1(1):1-5.

Loid, H. et T. Ladna. 1990. Perennial forage legumes and their influence on soil fertility in Estonia. in Gaborcik, N, V. Krajcovic et M. Zimkova. 1990. Soil-Grassland-Animal relationships. Proceedings of the 13th general meeting of the European Grassland Federation, Banska Bystrica, Tchéquoslovaquie.

Raig, H. 1982. Experience with newly introduced fodder plant - Galega orientalis Lam. - in the Estonian S.S.R. Tallinna, Valgus, Estonie. 15 pages.

Shagarov, A.M. 1985. [Galega orientalis - an important legume]. Kormoproizvodstvo, n 8:30-32.

Varis, E. 1986. Goat's rue (Galega orientalis), a potential pasture legume for temperate conditions. Journal of Agricultural Science in Finland, 58:83-101.

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