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Faut-il tailler les pommiers ?

dans Les Quatre saisons du Jardinage

Mars avril 1994 pp.19-26

Est-ce la fin du plus grand casse-tête des jardiniers ? Jean- Marie Lespinasse, éminent spécialiste du pommier, propose de remplacer la taille par quelques interventions douces et beaucoup d'observation. Rassurant, il précise: "Les amateurs peuvent devenir aussi compétents que les arboriculteurs professionnels." Chiche!

Nous sommes à la fin du XXe siècle, et il est question de... domestiquer le pommier. Oui, I'arbre qui, au Jardin d'Eden, fut témoin de la naissance de l'humanité, ne serait encore, entre nos mains, qu'un sauvageon! Tout ce que nous avons fait jusqu'à présent avec cet arbre en matière de conduite, et plus précisément de taille, s'apparenterait au domptage d'une bête fauve. Celui qui tient ce discours provocateur sait de quoi il parle: depuis plus de trente ans, il tente de percer tous les secrets du pommier à la station de Bordeaux de l'lnstitut national de la Recherche agronomique. Jean-Marie Lespinasse en arrive à la conclusion qu'il faut remplacer le plus possible les coups de sécateur par une certaine façon de regarder l'arbre. L'arboriculteur ou le jardinier (même peu expérimenté) pourrait, selon lui, avec quelques interventions modérées, "accompagner l'arbre dans sa façon de fructifier".

Quel bonheur pour un jardinier que d'entendre ce discours quasi écologiste! Et surtout quelle surprise de le trouver dans la bouche d'un chercheur de pointe, travaillant pour les arboriculteurs les plus "industriels", bref, un "ponte" du pommier! Mais le paradoxe n'est qu'apparent: professionnels et jardiniers ont le même intérêt pour des techniques qui simplifient la conduite des arbres. Les premiers parce que cela leur enlève du travail et les seconds parce que la taille est le plus souvent un casse-tête pour eux.

A la française

Rien que pour mesurer le chemin parcouru, rappelons-nous la fameuse "taille trigemme", qui fut en vogue dans la première moitié du siècle. Ceux qui la pratiquaient devaient intervenir successivement sur toutes les coursonnes (branches fruitières) de l'arbre. Sur chacune il fallait repérer les yeux à bois, les dards, les boutons floraux, les bourses, compter ces "productions" à partir de la base de la coursonne, puis tailler au-dessus de la troisième (trigemme veut dire "à trois bourgeons). Comme aucun arbre, aucune variété n'est semblable à l'autre, il y avait une infinité de cas de taille que les manuels s'efforçaient de décrire.

Cette taille sévère, analytique, maîtrisée, ne fut pratiquée que par nous, Français. Sans doute convient-elle à notre style de jardinage favori, tout en symétrie et régularité. II faut également avouer que c'est la seule méthode qui permette de faire paraître et grossir un fruit exactement là où l'on veut. Et que ce fruit soit le plus souvent gros et bien coloré, résultat flatteur pour l'amour-propre du jardinier. L'arbre ainsi traité présente l'avantage d'être compact, donc peu encombrant et facile à entretenir. La taille trigemme est, en réalité, la seule qui soit compatible avec les formes d'arbres artificielles à vocation décorative que sont le cordon horizontal et la palmette, sans parler du croisillon, de la torsade et du vase, maintenant passés de mode.

Mais, revers de la médaille, cette taille à la française fut, et est encore, la cause de l'infertilité de nombre de petite arbres fruitiers dans les jardins de l'Hexagone. En effet, chaque forme de pommier, chaque variété, chaque terroir nécessiterait une adaptation de la règle générale. Rappelons-nous l'objectif de cette taille: il faut affaiblir l'arbre en le taillant sévèrement plusieurs années de suite de façon à ce que, criant grâce, il concentre sa sève sur les boutons à fruits. Cela marche bien sur des pommiers naturellement peu ou moyennement vigoureux. Mais un pommier de variété très vigoureuse ne se laissera pas volontiers affaiblir, surtout s'il pousse dans une terre fertile et fraîche. Chaque année il produira de beaux rameaux, mais sa sève ne sera jamais assez ralentie pour que des yeux à bois se transforment en dards puis en boutons floraux susceptibles de donner des fruits. Quel jardinier n'a connu de ces pommiers magnifiques régulièrement taillés mais ne portant jamais aucun fruit?

Malgré toutes ces difficultés, la taille courte est encore considérée comme la taille par excellence par les jardiniers français. Pour en avoir la preuve, contez une édition récente du Guide Clause, ouvrage de référence s'il en est, ou suivez les célèbres cours d'arboriculture dispensés au Jardin du Luxembourg.

Si vous êtes un adepte des manuels de jardinage de Sélection du Reader's Digest, vous aurez un autre son de cloche. Et pour cause: ces livres sont écrits par des Anglais. Or, nos collègues d'outre-Manche - comme les autres Anglo-Saxons et les Américains - ont une façon particulière de voir les arbres. Dans leur majorité, ils ne se soucient guère de donner au pommier une architecture régulière, ne considérant de cet arbre que la dimension d'être vivant. Du coup, ils taillent différemment.

Laisser le rameau s'allonger

La vérité première dont ils s'inspirent est la suivante: le meilleur moyen pour qu'une branche porte des fruits, c'est non pas de la tailler mais, au contraire, de la laisser s'allonger. Inévitablement, au bout de un, deux ou trois ans (selon les variétés), apparaissent des boutons floraux. Les premiers fruits formés, en pesant sur le rameau encore souple, le forcent à s'incliner. Le courant de sève, au lieu de se porter entièrement à l'extrémité, réveille un oeil à bois au sommet de l'arcure. Cela donne un jeune rameau vigoureux qui, en un, deux ou trois ans, va lui aussi se mettre à fruit. Pendant ce temps, le "vieux" rameau continue de fructifier. Chez un grand nombre de nos variétés traditionnelles françaises cette fructification peut durer de nombreuses années, et il n'y a pas d' inconvénient à laisser en place le rameau productif, donc à ne pas tailler du tout. Les variétés modernes, elles, ne produisent que sur du bois jeune (1-3 ans). Dès qu'il atteint l'âge de trois ans, le "vieux" rameau est taillé au niveau de l'insertion du jeune rameau. Celui-ci va le remplacer, et ainsi de suite. On élimine le passé au profit de l'avenir. C'est la "taille de renouvellement". Le nombre de coups de sécateurs à donner reste relativement faible. Inutile de préciser que la régularité de la forme de l'arbre importe peu et que ce qui compte, c'est de respecter sa tendance naturelle. Aussi la taille de renouvellement s'applique-t-elle principalement aux pommiers modernes en formes libres (buisson, axe vertical).

Supprimer la taille

Cette technique est pratiquée en France, par les professionnels et sous des formes plus ou moins élaborées, depuis plus d'un demi-siècle. Pourquoi les amateurs la méconnaissent-ils encore, alors qu'elle est plus naturelle et plus facile que la taille bien de chez traditionnelle ? C'est un mystère, car cette méthode attribuée aux Anglo-Saxons est, en fait, nous! Nos manuels d'arboriculture, du XVlle au XlXe siècle, n'exposent pas autre chose qu'une taille de renouvellement. Ce n'est que par la suite que la taille courte cite "trigemme" est devenue traditionnelle.

"Taille courte, taille de renouvellement, c'est toujours de la taille, direz-vous. Qu 'en est-il de la suppression de la taille annoncée au début de cet article ?" C'est à ce point de l'histoire que Jean-Marie Lespinasse, le chercheur ès pommiers, entre en scène. II se définit volontiers comme "un paysan qui défriche", laissent aux hommes de laboratoire le soin de théoriser. Pour lui, la taille de renouvellement c'est encore du travail de bûcheron ! D'après ses observations, le rameau de remplacement attire à lui l'essentiel de la sève, ne laissant pas au vieux rameau en production de quoi alimenter dignement les pommes qu'il porte. D'une manière imagée, le pomologue de l'lnra dit qu'"il y a alors deux arbres sur chaque arbre: un qui fait des "gourmands" et un autre qui dépérit ''. En somme la taille de renouvellement serait idéale si la culture du pommier avait pour objectif de produire du bois! Mais pour avoir des fruits, il y a mieux.

La nouvelle méthode prônée par notre magicien pourrait s''appeler la "méthode automatique". II s'agit d'amener l'arbre à produire chaque année, sans intervention (ou presque), un fruit par coursonne. Pourquoi un seul ? Parce que s'il y en avait plusieurs, ceux-ci seraient moins bien nourris, obligeant alors, pour y remédier, à un fastidieux éclaircissage.

Un simple pincement

L'organe-miracle qui va réaliser cette fructification non-stop, c'est ce que les spécialistes appellent la "brindille couronnée". Un rameau pas très long, plutôt grêle, présentant à son extrémité un bouton floral, donnant une pomme, unique mais très bonne. Mais si l'on regarde de près, on voit qu'à l'endroit où s'accroche cette pomme la brindille s'est épaissie, engendrant un nouvel organe baptisé fort justement "bourse" (voir photo). Ce minuscule sac de bois tendre contient des tas de richesses, dont des hormones et du calcium qui seront précieux pour les futur fruits. D'ailleurs, un petit rameau part déjà de cette bourse; c'est lui qui, s'il est "couronné", I'an prochain ou l'an d'après, donnera le fruit suivant. Et ainsi de suite... Que faire pour favoriser l'apparition puis la croissance des brindilles couronnées? D'abord, il ne faut pas tailler, mais plutôt laisser toutes les branches du pommier s'allonger. Les premiers fruits formés vont les obliger à s'affaisser, bloquant du même coup la croissance terminale en plaçant un fruit à chaque extrémité de branche. La bourse correspondant à ce fruit servira de "bouchon", selon l'expression plaisante de Jean-Marie Lespinasse. Mais nous avons vu plus haut que l'inclinaison d'une branche provoque inévitablement le départ sur celle-ci d'un jeune rameau qui va attirer toute la sève à lui, au détriment des brindilles fruitières. II est donc utile de supprimer le plus tôt possible ce jeune rameau indésirable (...que l'on trouve intéressant, souvenez-vous, dans la taille de renouvellement). Voilà donc la principale intervention du jardinier: Cette opération réalisée en juin-juillet à l'aide des ongles ou d'un sécateur et qui s'appelle un "pincement".

Il est également utile, pour favoriser la mise à fruit, d'incliner vers l'horizontale les rameaux trop verticaux. On utilise pour cela des ficelles et des poids (pierres, etc.). Cela parait trop simple ? Jean-Marie Lespinasse est le genre d'homme passionné capable de rendre la confiance au jardinier le plus désabusé: "Les amateurs peuvent rapidement devenir aussi compétents que les arboriculteurs professionnels!" Sous-entendu: s'ils consentent à observer leurs arbres (voir encadré)." Pour se placer dans les meilleures conditions, dit-il, il faut planter le pommier le plus jeune et le moins formé possible. Même si cela ne fait pas plaisir aux pépiniéristes ! Le plus important, c'est le volume des racines. Dans les débuts, il faut laisser l'arbre se construire sans intervenir. Juste quelques inclinaisons de rameaux si besoin est. Ensuite, quand la fructification s'établit, on commence les pincements".

Une fois ceci admis, tout possesseur de pommiers peut-il s'inspirer de Lespinasse pour la conduite de ses arbres? Oui, mais il y a des exceptions. Si vous possédez des palmettes ou des cordons, formes de peu d'ampleur, vous n'aurez peut-être pas le goût - ni la place - de laisser leurs branches s'allonger. Le résultat de la non-taille n'a pas grand-chose à voir avec les espaliers de grand-papa. Jean-Marie Lespinasse: "A l'oeil, mon système de conduite automatique du pommier peut choquer. Comme la peinture impressionniste a choqué... Mais j'en tire la conclusion qu'il y a des désordres qui sont intéressants!" Certes, on comprend: un désordre qui donne des pommes!

Et le poirier ?

Fidèle à son cher pommier, Jean-Marie Lespinasse n'a pas expérimenté sa méthode de "conduite automatique" sur le poirier. Mais les deux essences ont beaucoup de points commune, et rien ne s 'oppose a priori à ['application au poirier d'une méthode qui réussit au pommier. Une difficulté, cependant: les variétés de poirier actuelles ont été créées et sélectionnées à une époque où l'on recherchait des arbres au port érigé, adaptés à la taille trigemme. La méthode "automatique" est plus facile à appliquer à des variétés à port retombant comme 'Williams'.

A observer sur vos pommiers

· Les jeunes pousses apparaissant au printemps vers le milieu des branches qui sont en position inclinée. Ces pousses se développent vigoureusement en rameaux, que les spécialistes de la taille appellent "réitérations" ou "renouvellements". Selon le mode de conduite adopté, on les conserve ou on les "pince".

· Les pousses vigoureuses et nombreuses naissant au bout des rameaux que vous avez taillés court l'hiver précédent. Paradoxalement, tailler court donne des arbres très touffus.

· Les "bourses" (voir photo), organes fruitiers par excellence du pommier, bien visibles en hiver. Elles correspondent aux points où les fruits étaient attachés l'automne précédent. Si ces bourses sont longues (3 cm au moins) et prolongées par une brindille, la fructification a de bonnes chances de se poursuivre sans intervention de votre part. C'est là que réside le secret de la méthode de J.-M. Lespinasse.

 

 


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